Voici la relecture de la table ronde de l'Université d'automne 2023. Le thème était "S'inspirer du vivant". Par Solange Navarro, xavière et bibliste.

En tant que bibliste, à quoi me font penser nos débats ? A un épisode bien précis, qui évoque aussi une catastrophe écologique et une sortie de crise. Je vais faire de ce passage, un commentaire assez libre.

L’épisode retenu est celui de l’arche de Noé ou du déluge.

Un constat :

Quand ce récit débute, une catastrophe écologique se profile à l’horizon et cette catastrophe possède une dimension éthique. En effet, un constat est dressé, un bilan négatif, le mal règne, sur terre et surtout dans le cœur, de l’humanité. Et ce mal atteint tous les vivants, tous les vivants ont perverti leur chemin sur terre, On pourrait dire, que tout le monde marche de travers, et la terre elle même s’en trouve détériorée, abîmée. Ce désastre est lié à l’humanité.

À quoi est-il du ? D’une manière générale, à la convoitise au refus des limites, de toute limite. On veut tout saisir, tout dévorer comme au jardin de la genèse, pas de limite, s’il vous plaît.,

En clair, L’Humanité, met en péril toute la création, un agencement qui était bon, très bon.

 Cependant au milieu de cette génération corrompue,  se trouve des exceptions, un juste, ou des justes, des gens différents. Dans le vocabulaire de la perma-entreprise, on pourrait dire que cela correspond à une catégorie précise les lucides, les lucides, voient la catastrophe arriver, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

«…En effet, aux jours qui précédèrent le déluge, les gens mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche; et ils ne se doutèrent de rien jusqu’à ce que le déluge vienne et les emporte tous; il en sera de même à l’avènement du Fils de l’homme.» Matthieu 24:37-39

De plus,  ces lucides  sont doté(e)s de principes éthiques, d’une forme de table de la loi,  En voici quelques uns :

• Prendre soin des humains,
• Prendre soin de la terre
• Se fixer des limites et partager les richesses

Ces principes vont servir de base, pour guider une construction nouvelle, une grande arche, une grande embarcation qui pourra abriter une mini création, un mini cosmos.

Une nouvelle entreprise :

Ces lucides vont construire une grande caisse, une entreprise qui ne sera pas submergée par les eaux.

Cette construction est longue, délicate. Elle peut paraître ridicule extérieurement.

Le problème est double :

- La construction elle même ,elle suppose de la patience,  beaucoup de patience .Voire de surmonter des erreurs …

- Et puis il y a tout le personnel, comment tout ce petit monde va t’il coexister sans heurt ?

En effet, à l’intérieur de  cette construction, se trouve tous les vivants,   peuplant le ciel et la  terre, une grande variété de vivants,

13 En ce même jour, Noé entra dans l'arche  …

14 ainsi que toutes les espèces de bêtes, toutes les espèces de bestiaux, toutes les espèces de petites bêtes qui remuent sur la terre, toutes les espèces d'oiseaux, tout volatile, toute bête ailée. 15 Ils vinrent à Noé dans l'arche, couple par couple, de toute créature animée de vie.

Et parmi eux bien sûr, dans cette diversité, s’il y a des herbivores, il y a  aussi des carnivores, des prédateurs. Comment vont-ils vivre ensemble ?

Il faut veiller,  sur toutes et tous, et notamment, prévoir  l’alimentation, les vivres nécessaires , une lourde tâche  :

«Et toi, prends de tout ce qui se mange et fais-t’en des provisions; cela te servira de nourriture, ainsi qu’à eux.»Genèse 6:21

Cette cohabitation pacifique difficile à établir,  est le signe de la venue des temps messianiques. En ces temps là :

«Le loup séjournera avec le mouton, la panthère se couchera avec le chevreau; le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble, et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits une même couche ; le lion, comme le bœuf, mangera de la paille. Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans le trou de l’aspic. Il ne se fera aucun mal, il n’y aura aucune destruction, dans toute ma montagne sacrée; car la connaissance du Seigneur remplira la terre comme les eaux recouvrent la mer.» Esaïe 11:6-9

Comment procède Noé ? Nous l’ignorons, le texte est silencieux sur ce point.  D’une manière générale, dans ce nouveau départ, La question reste ouverte : Comment gère t’on les conflits ? Comment se pense le leader ?

Un dérèglement :

La nouvelle entreprise pourra t’elle avancer, sans couler ? Le récit décrit le cataclysme son ampleur considérable, et il insiste encore davantage peut être sur la folie, le dérèglement général. Quelque chose qui marchait bien, très bien, est complètement détraqué.

Les écluses des cieux placées sur la voûte céleste, produisent le contraire de ce que le créateur avait inauguré. Le système hydraulique ne fonctionne plus.

Le mot déluge, « maboul » est formé sur une racine verbale nâbal qui signifie tomber, succomber ;et  l’adjectif nâbâl qui en dérive, signifie , insensé, fou. On pourrait aisément faire un jeu de mots. Le maboul, les eaux du déluge montre éminemment que l’humanité est devenue maboul, insensée.

Quand cesse enfin le déluge, tous les vivants sortent. Il s’agit de repartir. Le but étant de faire redémarrer la vie, de régénérer le vivant. L’alliance à la sortie de l’arche est passée avec tous les vivants et avec la terre.

Mais cette sortie pour réussir,  ne peut se faire sans limite, sans poser des limites. Ainsi, le sang identifié à la vie, une vie dont l’humain n’est pas l’origine, est présenté comme limite absolue.  Mettre à part le sang constitue un dispositif de mémoire destiné à rappeler à l’humain l’absolu de la vie, de toute vie et de la vie humaine.

«De plus, je réclamerai votre sang, pour votre vie; je le réclamerai à tout animal; et je réclamerai à chaque être humain la vie de l’humain qui est son frère.»Genèse 9:5

Ainsi, il y a la fois limite et responsabilité. La limite prend en compte la réalité du vivant, La violence, les conflits ne sont pas supprimés, ils sont canalisés.

Et le signe de l’alliance, l’arc dans la nuée, l’arc-en-ciel est à la fois un signe poétique, et aussi un signe qui rappelle la variété des vivants, à travers le prisme des couleurs.