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Réflexion sur la pauvreté de Mgr Noujaim, évêque libanais
Mgr Guy-Paul Noujaim, évêque émérite de Sarba au Liban, fondateur et président de l’association Oum El Nour Liban qui vient en aide gratuitement aux personnes toxico-dépendantes, nous enseigne ici sur l’expérience du prochain. Qui est-il ?
Question d’autant plus essentielle que nous sortons d’une période d’isolement, qui nous a coupé des autres et a parfois, vu l’individualisme et nos égoïsmes prendre le dessus.
Qui est mon « prochain » ?
Comme toujours, Jésus reprend les notions humaines, en particulier celles de l’Ancien Testament qui préparaient sa venue, en affirme les aspects positifs, mais aussi leur donne des dimensions qui parfois revêtent le caractère des ruptures. Il en est ainsi, je pense, du concept de « prochain ». Celui-ci, dans l’Ancien Testament, au sommet de sa signification la plus proche du christianisme, va être repris par Jésus-Christ, qui va aussi en prolonger la portée, mais aussi en en déplaçant le centre de référence. La parabole du bon Samaritain pour illustrer ce pont de vue.
Un maître de la loi demande à Jésus : « Que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? »
Jésus lui dit: « Que dit la loi ?». Le maître répondit : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme,… et ton prochain comme toi-même.» Jésus lui dit : « Fais cela et tu vivras.» Mais lui répond : « Et qui est mon prochain? » Jésus lui raconte la parabole de l’homme qui, descendant à Jéricho, tombe entre les mains de brigands qui le dépouillent, le rouent de coups et le laissent à moitié mort. Un prêtre puis un Lévite passent par là sans l’aider. Un Samaritain arrive à son tour et prit de pitié, lui panse les plaies, le prend sur sa monture jusqu’à une auberge, paye l’aubergiste et lui dit : ‘Ce que tu dépenseras en plus, je te le rendrai à mon retour’ ». Et Jésus termine par cette question : « Lequel de ces trois a été le prochain de celui qui était tombé au milieu des brigands ? Il dit : « Celui qui a été bon envers lui ». Jésus lui dit : « Va et fais de même’ ».
Finalement, Jésus a répondu à une question : « Qui est mon prochain » par cette autre : « Qui a été le prochain du malheureux ? ». Il ne s’agit plus de la place de l’autre par rapport à moi comme centre de référence, mais de ma place par rapport à l’autre. C’est alors l’autre qui devient qui devient le centre de référence. Le chrétien n’est plus celui qui cherche à savoir qui est son prochain, mais celui qui cherche à être le prochain de l’autre, au service de ses besoins.
La pauvreté
« L’option préférentielle pour les pauvres » trouve ses racines les plus profondes dans le dogme de la Saint Trinité. Aller vers les pauvres, c’est aller vers le Christ, le Verbe de Dieu, le second de la Trinité en qui nous rencontrons Dieu et nous unissons à Lui. Je pense que le texte suivant de Maurice Zundel peut être éclairant sur ce point :
« S’il y avait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas Dieu ? » (Nietsche). A cette objection redoutable, il n’y a qu’une réponse, celle qui fut donnée à saint François d’Assise. François, le fils du marchand, François, destiné par son père au négoce, François, riche,… c’est Dame Pauvreté qu’il va chanter sur toutes les routes de la terre,… François l’a compris le premier. Il a vécu avec une intensité brûlante cette identification de Dieu avec la pauvreté. ‘Bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre’, dit Jésus en tête des Béatitudes. C’est la première Béatitude, parce que c’est la Béatitude de Dieu… Dieu est pauvre, dit François, et… le chantre de la pauvreté, nous donne la clef de ce mystère insondable et merveilleux, qui est le mystère de la Sainte Trinité. La très sainte Trinité, sur laquelle tant de théologiens ont exercé leur admirable subtilité ! Mais jamais ils n’ont été au cœur de cette vie débordante, parce qu’ils n’ont pas compris que la clef de la Trinité, c’est la pauvreté…
Dieu n’a prise sur son être et sur son acte qu’en le communiquant. Dieu ne se regarde pas. En Dieu, la connaissance, c’est le regard : c’est l’élan du Père vers le Fils, et le regard et l’élan du
Fils vers le Père. La connaissance est un échange, un don consubstantiel, un don total, car ce qui constitue le Père, c’est uniquement cet élan, ce regard vers le Fils. Il n’a rien d’autre que d’être tout donné à ce Fils, qui n’a rien d’autre que d’être donné à ce père et ensemble, ils ne possèdent pas l’amour, ils le donnent, ils le communiquent dans une aspiration vivante vers le Saint-Esprit, qui est, une respiration vivante vers le Père et le Fils. En sorte qu’en Dieu, tout est éternellement donné, communiqué, dépouillé dans une pauvreté tellement absolue, qu’il faut dire que Dieu n’a rien, qu’il ne peut rien avoir, qu’il ne peut rien posséder, que la divinité n’est à personne, car elle n’est au Père que dans son élan vers le Fils et au Fils dans son élan vers le Père, et à l’Esprit saint dans cette respiration d’amour vers le Père et le Fils.
D’ailleurs, cela, nous pouvons le comprendre immédiatement par une expérience quotidienne, celle de cette trinité humaine, la famille, qui est la plus belle image de la trinité divine. Dans une famille, il y a au moins trois personnes : le père, la mère et l’enfant. Et ces trois personnes vivent de la même vie, de la même joie, du même bonheur, du même amour et leur harmonie est faite uniquement de ce regard de l’un vers les deux autres.
En Dieu, il n’y a pas d’adhérence à soi, parce qu’en Dieu, le moi est tout élan, toute communication, tout altruisme, tout don, toute communion, tout amour… il faut dire : « Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien »… Il ne veut rien pouvoir, sinon donner. Il n’y a rien d’autre en lui que l’amour. Il ne peut nous toucher que par son amour, comme nous ne pouvons le rejoindre que par notre amour.
C’est un Dieu inconnu, un Dieu inimaginable, un Dieu imprévu, un Dieu que les chrétiens n’ont pas encore commencé à reconnaître. Nous continuons à penser à Dieu comme on pouvait y penser avant Jésus-Christ. On oublie qu’en Jésus-Christ tout a été renouvelé, qu’au travers de l’humanité transparente de Jésus-Christ, le vrai visage de Dieu s’est révélé, qui est le visage de la pauvreté, le visage de la fragilité. Car si Dieu est pauvre, il est fragile ; si Dieu est pauvre, il est désarmé, car il n’a rien pour le défendre, il n’est que son amour. Et il suffit de lui refuser le nôtre pour que rien ne se puisse accomplir.
C’est ce que nous dit magnifiquement le prologue de saint Jean : « En lui est la lumière, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne la saisissent pas. Il est dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne le connaît pas. Il vient chez les siens et les siens ne le reçoivent pas. » Et que peut-il faire ? Il meurt. Il meurt pour tous ceux qui refusent de l’aimer. Et il n’y a pas pour lui d’autre issue, et c’est ce que veut dire la croix. La croix veut dire que Dieu est l’amour qui n’est qu’amour, amour fragile qui appelle notre amour mais qui ne peut rien en nous sans nous…
Dieu est fragile autant qu’il est amour, fragile comme la vérité. Il suffit de se boucher les oreilles et la vérité ne peut plus rien… Fragile comme l’amour : il suffit de fermer son cœur et l’amour ne peut rien… »
Mgr Guy-Paul Noujaim
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