Presse et communication digitale
Principe de participation : susciter confiance et esprit d’initiative
Le père Baudoin Roger et Philippe Hyvert définissent ensemble les conditions de mise en œuvre de la participation en entreprise.
Père Baudoin Roger: L’ordre des cinq grands principes de la doctrine de l’Eglise – bien commun, partage des biens, subsidiarité, participation, solidarité – est assez signifiant. […] Dans la subsidiarité, il s’agit de laisser faire les gens qui sont à un niveau inférieur, sans les autonomiser complètement. La participation s’exprime à l’intérieur de ces schémas, elle consiste à solliciter chacun à hauteur de ce qu’il est en mesure d’apporter. Cela suppose que, dans le travail, les personnes puissent exprimer leurs capacités, et donc une certaine initiative, et que l’organisation soit structurée pour leur permettre d’accéder à ces dimensions expressives du travail. La participation est juste car elle favorise la dignité des personnes, elle est aussi pertinente économiquement pour l’entreprise.
Philippe Hyvert : La participation, c’est une volonté managériale. Cette volonté est quelque chose d’intime au dirigeant : quelle représentation a-t-il de la mobilisation, du rôle de chacun dans son entreprise ? La participation est liée à la qualité, à la solidité de la chaîne de confiance, du conseiller de ventes jusqu’au président.
« Quand on fait confiance et qu’on écoute les gens, on est bluffé des résultats, de la puissance de réflexion et de fertilisation que cela apporte. »
Quel que soit le contexte, une organisation peut se mettre en route pour se projeter et embarquer tous ses collaborateurs. Quand on fait confiance et qu’on écoute les gens, on est bluffé des résultats, de la puissance de réflexion et de fertilisation que cela apporte. Ce processus est vraiment une invitation à faire évoluer le logiciel managérial de l’entreprise. Une entreprise engagée dans un tel mouvement ne peut plus accepter d’avoir des petits chefs ou des chefs très autocentrés ou autocrates, elle devient d’elle-même une organisation intelligente et « libérante ».
P. B. R. : Il faut prendre conscience qu’il y a des potentialités incroyables en entreprise, des gisements qu’il est important d’identifier. Comment permettre à chacun d’avoir la possibilité de contribuer positivement? C’est un art difficile. Il est possible que le chef puisse faire certaines choses plus vite et peut-être mieux que le collaborateur. Mais s’il le fait, il casse la motivation participative du collaborateur. Il faut donc souvent que le manager se restreigne. On respecte la subsidiarité pour permettre et susciter la participation. Il faut avoir conscience que ce qu’on demande aux gens dans la participation, c’est de s’engager, d’aller de l’avant, de sortir du cadre. Or, ces mouvements-là suscitent une appréhension légitime, voire une certaine peur. Il est donc important de mettre les gens en confiance, peut-être aussi d’avoir des relations qui sont tolérantes à l’erreur pour permettre au collaborateur de donner le meilleur de lui-même.
P. H.: Le droit à l’erreur est l’un des fondamentaux des entreprises de notre famille. Si l’on fait des tests à petite échelle avant de démultiplier, on libère l’initiative. C’est pour cela qu’Happychic a créé la Nursery des talents : chaque collaborateur peut porter une idée et la présenter à un comité de sélection. C’est par exemple ainsi qu’est née notre marque « Gentle Factory ».
La participation est liée au dirigeant, il y a toujours un pilote qui est le responsable de la colonne vertébrale de sens de l’entreprise : vision, mission, raison d’être, fondamentaux. Il doit aussi travailler sa colonne vertébrale intérieure: la notion de respiration, d’inspiration, sa capacité à accélérer ou à prendre du temps pour poser les choses, sa capacité de ressourcement, de travail personnel, de gestion de son ego au service du collectif sont très importants pour tenir dans une entreprise à haut niveau de participation durable. Le meilleur manager, c’est celui qui sait trouver les talents et bien choisir ses collaborateurs. Il peut avoir les plus beaux projets affichés, s’il fait entrer dans son équipe de direction un dirigeant qui ne porte pas ses valeurs, il suffit d’un contre-exemple pour que l’édifice soit écorné.
« On ne peut pas attendre des gens qu’ils s’engagent s’ils n’ont pas confiance dans l’organisation »
P. B. R.: Mettre en œuvre une organisation participative, mettre en place des instances de dialogue, de consultation, de réflexion commune est onéreux en temps. Mais parfois, on gagne beaucoup de temps à en perdre un petit peu. Le temps que l’on passe à la participation se traduit en termes de qualité, d’intelligence, de sûreté, de sagesse, il prépare la mise en œuvre parce que les gens sont déjà associés à ce qu’ils vont devoir faire. Dès que l’on rentre dans ces registres-là, les collaborateurs apportent des choses qui ne rentrent pas dans le cadre de leur fonction et leur coopération comporte une forme de gratuité. Mais cet engagement dans la coopération suppose un certain contexte institutionnel, organisationnel. On ne peut pas attendre des gens qu’ils s’engagent s’ils n’ont pas confiance dans l’organisation, s’ils se sentent en situation de précarité ou s’ils ont le sentiment que la décision in ne sera prise par un petit cercle de personnes sans qu’ils sachent très bien quels en sont les critères, les tenants et les aboutissants. Pie XI affirme que la participation, c’est aussi la participation à la gestion. Il est important que, y compris dans les plus hautes instances de décision, il y ait une forme de participation. Dans certaines entreprises, cela prend la forme d’administrateurs salariés au CA.
« On n’est jamais déçu quand on fait confiance aux hommes. «
P. H.: Dans tout métier, toute entreprise, faire participer les hommes, c’est faire entrer les gens dans une démarche de progrès. Nous ne sommes que de passage pour transformer l’œuvre du Créateur et, quel que soit le point de départ, on a le devoir d’engager une démarche participative. On n’est jamais déçu quand on fait confiance aux hommes. Il y a plusieurs conditions pour exercer la participation. Dans le groupe Mulliez, cela signifie favoriser une culture du partage du savoir, cela passe par la formation mais aussi le partage de l’information. La culture d’actionnariat nécessite beaucoup de pédagogie et de formations notamment aux fondamentaux de la culture économique. Autres conditions, le partage du pouvoir, de la responsabilité, et le partage du vouloir : un idéal d’entreprise fort avec des valeurs communes fortes. Le dernier pilier, c’est le partage de l’avoir: la réussite est collective, on a des fruits qui sont dus à nos progrès et on les partage. Ça donne une politique d’intéressement dans tous les secteurs. Après, il y a la participation aux bénéfices et pour nous, c’est la marche possible pour rentrer dans l’actionnariat.
La détention d’action est une forme de participation. Mais la détention d’actions n’est pas l’unique condition qui légitime la participation des salariés aux instances de décision : ils sont déjà légitimes en tant qu’apporteurs de travail et au titre de leurs compétences. J’ajoute que le fait de mettre à disposition de l’argent dans l’entreprise rend seulement possible le projet entrepreneurial. Rendre possible le projet entrepreneurial, ce n’est pas encore y participer. Le jour où l’on commence à discuter pour savoir ce qu’on va faire de l’argent, là on participe au projet.
P. H.: J’ajouterais aussi qu’un dirigeant qui est capable de se montrer vulnérable, d’oser avouer sa fragilité, son besoin de complémentarité, c’est extrêmement puissant. Cela laisse de la place aux collaborateurs. Il a également un devoir d’exemplarité, même dans les plus petits signes.
Article issu de la revue Dirigeants chrétiens de mai-juin 2017.
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