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La propriété privée doit être au service de la Destination Universelle des Biens

12 janvier 2024 Repères chrétiens
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Il est tentant d’opposer le principe de la destination universelle des biens et la propriété privée. En effet, pour que chacun bénéficie des tout ce dont il a besoin, ne serait-il pas préférable que les richesses soient gérées par la communauté ?

Les socialistes1 utopiques ou révolutionnaires de la fin du 19éme siècle ont suivi ce raisonnement. L’Eglise propose une voie différente qui met au cœur la dignité de la personne et sa responsabilité au centre de la vie sociale et économique.2

En effet, la Pensée Sociale Chrétienne reconnait la propriété privée3 comme nécessaire à la liberté et à la dignité de chaque personne. « La propriété privée ou un certain pouvoir sur les biens extérieurs assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale ; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles »4

« En effet, l’homme dépossédé de ce qu’il pourrait dire « sien » et de la possibilité de gagner sa vie par ses initiatives en vient à dépendre de la machine sociale et de ceux qui la contrôlent ; cela lui rend beaucoup plus difficile la reconnaissance de sa propre dignité de personne et entrave la progression vers la constitution d’une authentique communauté humaine. »5

C’est parce que la propriété est nécessaire pour la dignité de chaque personne6 que l’Eglise recommande qu’elle soit diffusée. « La doctrine sociale exige que la propriété des biens soit équitablement accessible à tous »7 de sorte que tous deviennent, « au moins dans une certaine mesure, propriétaires »8

Plus largement la Pensée Sociale Chrétienne a reconnu les avantages de la propriété privée. Ainsi Saint Thomas9 en plus du fait que l’on donne plus de soin à ce qui nous appartient explique que :
• Cela permet d’ordonner la société quand chacun s’occupe de son bien et pas de celui de son voisin.
• La paix est mieux garantie quand chacun sait ce qui lui appartient.
• Quand le responsable d’un bien est connu, on sait à qui s’adresser.

Mais le fait de posséder quelque chose donne la responsabilité de son usage. En effet, l’homme « ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres ».10

L’homme doit donc posséder ses biens « comme s’ils étaient à tous ».11 Il en est l’intendant : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage ».12

Être un intendant fidèle c’est prendre soin de sa propriété et la faire fructifier pour créer de nouveaux biens.13 Ainsi l’entrepreneur développe son entreprise pour qu’elle produise des biens et services utiles à la société. « « Les biens de production – matériels ou immatériels – comme des terres ou des usines, des compétences ou des arts, requièrent les soins de leurs possesseurs pour que leur fécondité profite au plus grand nombre ».14

Être un intendant fidèle, c’est aussi prendre soin des membres des communautés qui lui sont confiées. Pour le chrétien, tous les hommes sont concernés car ils sont tous ses frères. Pour l’entrepreneur ce sera tout particulièrement fournir un travail de qualité à ses collaborateurs et le revenu correspondant.

Dans la Pensée Sociale Chrétienne, la subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit universel à leur usage, est une règle d’or du comportement social (LS93). Les pères de l’Eglise sont allés encore plus loin sur ce point : « ne pas partager nos biens avec les pauvres, c’est les leur voler, et les priver de leur vie. Les biens que nous possédons ne sont pas à nous mais à eux. »15

Pour cela chacun est invité à être sobre : « L’homme n’est pas autorisé à disposer au gré de son caprice de ses revenus disponibles, c’est-à-dire des revenus qui ne sont pas indispensables à l’entretien d’une existence convenable »16

Ce devoir fait aux propriétaires de gérer pour les autres ce qu’ils possèdent est une façon de les inviter à répondre à leur vocation : aimer et être aimé. Et retrouver en tout autre son frère, le Christ. C’est ainsi que la propriété trouve son sens et s’humanise.

 
    1.  Marx, Proudhon ou Fourier mais aussi de nombreux chrétiens qui voyaient cette voie comme la seule application possible de l’évangile. Ainsi Etienne Cabet décrit dans son livre « voyage en Icarie » une société idéale fondée sur l’égalité et l’absence de propriété. 
    2.  Ce fut l’une des grandes surprise provoquée par Rerum novarum. En effet, alors que beaucoup attendait que Léon XIII prenne position pour le libéralisme ou pour le socialisme, le pape critiqua fortement le premier et condamna le second tout en proposant une autre approche de la société. 
    3.  « Tu ne voleras pas… Tu ne convoiteras rien de ce qui appartient à ton prochain ». Ex20, 17 
    4.  Gaudium et spes §71 
    5.  Centesimus annus, §13. Dans ce même paragraphe saint Jean Paul II précise que le refus de la propriété privé trouve sa racine dans une conception anthropologique erronée. Ce refus « considère l’individu comme un simple élément, une molécule de l’organisme social, de sorte que le bien de chacun est tout entier subordonné au fonctionnement du mécanisme économique et social, tandis que, par ailleurs, il estime que ce même bien de l’individu peut être atteint hors de tout choix autonome de sa part, hors de sa seule et exclusive décision responsable devant le bien ou le mal. L’homme est ainsi réduit à un ensemble de relations sociales, et c’est alors que disparaît le concept de personne comme sujet autonome de décision morale qui construit l’ordre social par cette décision. De cette conception erronée de la personne découlent la déformation du droit qui définit la sphère d’exercice de la liberté, ainsi que le refus de la propriété privée » 
  •  « Un individu qui n’aurait pas de propriété n’a pas d’autres finalités que de consommer le plus possible et de travailler le moins possible » Attribué à Adam Smith. 
  •  Centesimus annus §6 
  •  Compendium §11. D’où l’importance que chacun bénéficie d’un salaire qui lui permette un juste accès aux biens. Dans son Radiomessage du 12 décembre 1942, Pie XII parlait de « l’obligation fondamentale d’accorder une propriété privée autant que possible à tous ». 
  •  Somme théologique §IIa IIae, q66, a.2. Cf. JY Naudet https://questions.aleteia.org/articles/62/comment-concilier-propriete-privee-et-destination-universelle-des-biens/ 
  •  Gaudium et spes §69 
  • Cette vision de la propriété est très différente de celle porté par le Code Civil dans son article 544. En effet, celui-ci affirme que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements ». Le code civil après avoir affirmé que la propriété est absolue lui donne des limites qui d’année en année ne cesse de se multiplier. Sur un plan bien différent, elle n’est pas un droit, la Pensée Sociale Chrétienne affirme la subordination de la propriété et lui donne une orientation : servir les autres. 

    Sans prétendre définir la pensée libérale – tant celle-ci est multiple et diverse – il est intéressant de noter là une différence entre la Pensée Sociale Chrétienne et les principaux penseurs libéraux qui ont inspiré notre droit. On peut poser comme piste de réflexion que cette différence trouve une de ses racines dans le fait que la vision chrétienne met en avant une finalité commune à tous les hommes et donne une dimension communautaire au travail et à la propriété. De leur côté, les philosophes libéraux mettent davantage en avant l’autonomie de chacun et s’opposent à toute obligation communautaire ou autoritaire du pouvoir politique. 

  •  Lc 12, 42-48 
  •  La propriété des moyens de production « devient illégitime quand elle n’est pas valorisée » Cf. Centesimus annus §41. 
  •  Catéchisme de l’Eglise Catholique §2405 
  •  Saint Jean Chrysostome, 2° sermon sur Lazare. On peut également relire cette parole de saint Ambroise : « Ce n’est pas de ton bien, affirme ainsi saint Ambroise, que tu fais largesse au pauvre, tu lui rends ce qui lui appartient. Car ce qui est donné en commun pour l’usage de tous, voilà ce que tu t’arroges. La terre est donnée à tout le monde, et pas seulement aux riches » Cité par Paul VI dans Populorum progressioPopulorum progressio §23. 
  •  Quadragesimo Anno §11. Également dans Laudato si § 222: « … La spiritualité chrétienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre… Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple accumulation de plaisirs. » 

 




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