Presse et communication digitale
Solidarité ou intérêt personnel : faut-il choisir ?
Spontanément, nous opposons solidarité avec intérêt. Être solidaire aurait pour conséquence la nécessité de mettre de côté son intérêt personnel, voire dans les cas extrêmes d’être capable de le sacrifier au service du
groupe.
Dans le monde économique, le mot solidarité résonne avec l’univers des entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire mais aussi celui des associations et des ONG qui ont pour objet d’aider les personnes en situation de fragilité. Les cadres juridiques de ces organisations excluent tout profit individuel et l’ensemble de leurs résultats doit être réinvesti au service de leurs objectifs. Il y a donc une forme de distance vis-à-vis du profit, un oubli de l’intérêt personnel, voire une recherche de gratuité dans le cas des
associations qui ne font pas payer leurs prestations et font appel au bénévolat.
Solidarité et intérêt ne s’opposent pourtant pas de façon manichéenne. Si la finalité de ces organisations est généreuse, les motivations de ceux qui les servent comportent toujours une part d’intérêt personnel : « je suis heureux
de venir ici, je rends service et je donne du sens à ma vie, je rencontre des gens, cela me sort de ma solitude, j’apprends à organiser une journée ou les règles de stockage, la comptabilité ou la communication, je suis nourri à midi,
cette expérience va me servir pour entrer dans une société “normale” ». L’intérêt personnel n’est jamais absent. Les motivations sont multiples et complexes. Il faudrait plutôt parler, en utilisant une expression de l’univers économique, de panier ou de mix d’intérêts.
Nous sommes solidaires à la mesure avec laquelle nous estimons bénéficier d’un panier d’intérêt favorable et mieux garni qu’ailleurs.
Depuis Aristote (Cf. Éthique à Nicomaque, notamment livres 2 et 10) qui s’interrogeait sur les rapports entre l’utilité, le plaisir et la vertu, nous savons bien que rien n’est chimiquement pur dans nos comportements. Nous savons bien qu’il y a une grande distance entre ce que nous voulons faire et ce que nous faisons réellement. C’est ce que sainte Thérèse de l’Enfant Jésus exprimait quand elle écrivait « toutes nos justices ont des taches à vos yeux ».
La question n’est pas tant d’opposer mon intérêt au bien que je peux faire que d’aligner mon intérêt et mon désir avec le bien.
Bossuet définissait le bonheur comme « Faire ce que je dois et désirer ce que je dois ». Ce qui est tout le sens du développement des vertus. Ce que nous ne pouvons pas faire par nous-mêmes, le Christ le peut en nous. C’est ce qu’indique la sainte dans la suite de sa prière : « Je veux donc me revêtir de votre propre Justice et recevoir de votre Amour la possession éternelle de Vous-même. Je ne veux point d’autre Trône et d’autre Couronne que Vous, ô mon Bien-Aimé » (Ibid)
C’est aussi ce que nous enseigne saint Paul : « Lorsque Dieu, notre Sauveur, a manifesté sa bonté et son amour pour les hommes, il nous a sauvés, non pas à cause de la justice de nos propres actes, mais par sa miséricorde. » (Tite3, 4.)
Jésus nous donne la voie : aime ton prochain comme toi-même. Une voie que le concile Vatican II a développée en donnant en une phrase le cœur de la vision chrétienne de l’homme : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu
a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. » (Gaudium et Spes 24, §3. Ce passage central de Vatican 2 exprime en peu de mots mais avec une très grande force une clé de l’anthropologie Chrétienne. )
Une fois trouvé un lieu pour mettre en œuvre les moyens d’une fin objectivement bonne, que ce soit une entreprise, une ONG, une association, un syndicat, attachons-nous à aimer.Aimer (y compris ses ennemis), c’est contribuer à ce que le prochain vive mieux, puisse grandir, bref, devenir ce
pour quoi il est fait. C’est aussi, en contribuant au bien commun, construire un monde où les hommes « puissent atteindre leur perfection ». Ainsi, concrètement :
- Un administrateur qui est solidaire (agit in solidum) dans la défense de l’intérêt social s’attachera à respecter les autres administrateurs, à soutenir les dirigeants opérationnels dans les moments difficiles, à proposer des ré-
partitions de valeur raisonnables ; - Un dirigeant s’engagera corps et âme pour que dans son équipe, chacun connaissant les forces et les faiblesses des autres, les accepte et joue le jeu commun plutôt que le seul jeu personnel ;
- Un manager de projet donnera des taches qui font grandir chacun et mettra en valeur ceux qui ont vraiment « fait le job » et non ceux qui voudraient s’attribuer les mérites pour eux seuls ;
- Un vieux compagnon aura le souci de former les plus jeunes…
Et tous exerceront l’autorité dans son sens étymologique : faire grandir !
En poussant la réflexion, l’opposition entre la solidarité et l’intérêt personnel est-elle aussi évidente que cela ? En effet, chacun profite du bon fonctionnement et de la réussite des communautés auxquelles il appartient. Parce qu’il en retire des intérêts directs mais aussi parce qu’il y vit des relations et y fait des rencontres qui l’enrichissent et sans lesquelles, il serait bien pauvre.
Nous devons également évoquer le sens du devoir. Le devoir n’est certes pas une idée très en vogue mais nous pouvons observer qu’il reste, sous des formes diverses, un ressort essentiel du cœur humain. Il n’est pas une contrainte moralisante extérieure à la personne mais la ferme intention d’être digne des responsabilités qui nous sont confiées. Pour le chrétien, répondre à l’appel du Christ en aimant davantage. Il est cette recherche du bien qui nous conduit à viser plus haut et plus loin que nos simples obligations et satisfactions immédiates.
Il y a donc bien un alignement possible entre la façon dont nous vivons la solidarité et notre intérêt personnel.
La question à laquelle nous sommes invités à répondre est : qu’est-ce qui fait que je trouve de l’intérêt à être solidaire ?
Cette recherche de cohérence entre ce que nous enseigne le Christ et nos actes, là où nous sommes, est l’aventure spirituelle à laquelle nous sommes tous conviés. Elle se construit dans cette attention aux autres dans une équipe
où chacun s’entraide pour réussir un projet, dans le service d’une entreprise qui sert le bien commun, dans l’aide qu’un collaborateur apporte à une personne plus fragile.
À chaque fois la solidarité, en s’incarnant dans une action concrète, révèle ce qui est bon dans l’homme et le fait grandir dans son humanité. Cette rencontre du bien est aussi source d’émotion.
Nous pouvons élargir la réflexion à l’ensemble de l’entreprise. Une question que peut se poser tout dirigeant : que dois-je mettre en place, quel cadre est-ce que je donne pour que chacun ait davantage intérêt à être solidaire
qu’à être individualiste.
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