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Chacun est porteur d’un souffle qui lui vient de Dieu et d’un talent à offrir à la communauté humaine.

01 mai 2014 Repères chrétiens
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Le Père Bruno-Marie Duffé, vicaire épiscopal « Famille et société » du diocèse de Lyon, et conseiller spirituel de la région EDC Rhône-Alpes, nous propose cette « petite approche théologique et éthique de la souffrance au travail ». La théologie chrétienne a toujours pensé le travail humain à partir de l’acte créateur de Dieu et de la mission que reçoit l’homme (homme et femme) de continuer la Création, initiée et insufflée par Dieu.

On comprend, à partir de cette référence première, que la pensée sociale chrétienne ait valorisé le travail de la terre et l’artisanat qui déployaient, de manière plus directe et fortement symbolique, ce rapprochement entre création et travail. Il y a, dans cette « coopération » entre le créateur et ses créatures – homme, femme mais aussi animaux et végétaux dont nous découvrons ou redécouvrons les fonctions essentielles pour la sauvegarde de la vie – une reconnaissance première et une valorisation de tout vivant à qui la vie est confiée.

Il y a de la souffrance dans le travail, même s’il donne lieu à une œuvre dont l’existence nous réjouit.

Cette manière d’entrer dans « la théologie du travail » n’élude aucunement le caractère de souffrance inhérente au travail lui-même : la langue biblique évoque que Dieu « se contracte » dans son acte créateur pour faire advenir sa création. et l’on a fréquemment fait remarquer que le terme même de travail a la triple signification d’accouchement, de torture et de construction. Il y a donc de la souffrance dans le travail, même s’il donne lieu à une œuvre dont l’existence nous réjouit.

Comprendre le travail comme vocation de l’être

Il y a une autre approche théologique du travail, liée à la coopération entre Dieu et les vivants. C’est la compréhension du travail comme « vocation de l’être » : nous sommes, chacun(e), appelés au travail, comme à une participation à l’œuvre de Dieu et au devenir de la communauté humaine. On pense ici à la fois à la figure d’Abraham qui porte, dans son humanité, l’avenir des générations (Genèse 12) qui naîtront de lui et à la parabole des talents (Matthieu 35, 15) dans laquelle même celui qui a reçu un seul talent est appelé à le faire fructifier.

Dieu fait de chacun un envoyé dans et pour la communauté

La Tradition et l’enseignement social de l’Église souligneront que cet appel inscrit tout travailleur dans une double relation : avec les autres, en commençant par les proches – avec et pour qui nous travaillons – et avec Dieu qui fait de chacun un envoyé dans et pour la communauté. On pourrait dire : tant que la peine, inhérente au travail, est vécue comme une contribution à l’avenir et au devenir de celles et ceux avec qui nous vivons, nous souffrons moins d’y engager nos capacités physiques et intellectuelles. Car nous percevons que nous participons à la vie de la famille humaine. Dès l’instant où se brise ce lien entre travail et devenir de notre humanité, nous faisons l’expérience d’une solitude qui est la source de la souffrance au travail. C’est la question radicale que posent les personnes isolées ou marginalisées dans leur travail : « À quoi (à qui) je sers ? »

La doctrine sociale de l’Église relie et appelle à la reconnaissance du lien entre « vocation » du travailleur et « participation » de son travail à la vie de la communauté humaine

Quand la doctrine sociale de l’Église met en lumière « l’argument personnaliste » (cf. Laborem exercens, Jean Paul II, 1981, § 15) dans la pensée actuelle du travail, elle relie et appelle à la reconnaissance du lien entre « vocation » du travailleur et « participation » de son travail à la vie de la communauté humaine. Les trois points d’ancrage que nous venons de rappeler – participation à la Création, vocation et contribution à la communauté – se nouent, dans la théologie morale chrétienne, autour de la sociabilité dont nous faisons l’expérience, de manière première, dans notre travail.

Le travail, même solitaire, fait de chacun un être social et il en appelle à la solidarité.

Or, précisément, l’expérience de beaucoup, dans le contexte où nous travaillons, est de souffrir dans leur travail car l’organisation et la finalité du travail ne participent pas – ou plus – à un maillage des expériences, des compétences et des complémentarités. Pour qui et avec qui travaillons-nous ? comment est reçue – évaluée, appréciée – la part de moi-même que j’ai mise dans ce travail qui est le mien ? Voilà les questions qui hantent un certain nombre de nos contemporains, à la recherche – disons-nous – d’une reconnaissance, c’est-à-dire d’un regard de l’autre sur ce que nous avons donné de nous-mêmes.

Il ne suffit pas seulement de produire, il s’agit de savoir pour quoi et en vue de quoi nous produisons.

On pourra donc avancer la thèse que la « souffrance au travail » a à voir avec cette réduction, voire cette perte de relation, dans le champ de l’activité économique et du lien social. On l’a souvent dit : il ne suffit pas seulement de produire, il s’agit de savoir pour quoi et en vue de quoi nous produisons. Il ne suffit pas d’avoir un travail ; ce qui est déterminant, c’est d’être dans son travail – quel qu’il soit – comme un sujet qui peut parler et dialoguer à propos de son travail, d’y être pour quelque chose dans la réalisation d’un produit et, plus encore, dans l’avenir de nos produits et de nos constructions.

La souffrance au travail en vient inévitablement à faire grandir une double méfiance à l’égard de cet autre qui devient nécessairement une menace.

La souffrance au travail, qui produit un repli sur soi et une méfiance à l’égard de l’autre, celui avec qui nous ne parlons plus, soit parce qu’il est loin, soit parce que nous sommes « enfermés dans nos rôles » et que nous n’avons plus « besoin » de nous parler, en vient inévitablement à faire grandir une double méfiance à l’égard de cet autre qui devient nécessairement une menace et à l’égard de nous-mêmes et de nos capacités à relever le défi de la vie. Ainsi naissent les « idées suicidaires » sur le lieu même du travail. Demeure pourtant que chaque personne porte en elle ce que la pensée sociale chrétienne a nommé « le paramètre intérieur » (cf. Sollicitudo rei socialis, Jean Paul II, 1987, § 29). Cette dimension irréductible nous conduit à repenser la dignité de la personne (et la dignité de son travail).

Il s’agit de poser sur chaque personne un regard de confiance et de vérité, qui la considère comme porteuse d’une promesse pour notre communauté humaine. Chacun est porteur d’un souffle qui lui vient de Dieu et d’un talent à offrir à la communauté humaine.

 




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