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Assises des EDC 2024 : à Bordeaux, un chant nouveau au travail

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Comment réenchanter le travail ? Cette question est au cœur des Assises nationales des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) 2024, à Bordeaux. 2600 personnes sont rassemblées au Palais de l’Atlantique jusqu’au dimanche 17 mars. La journée du vendredi 15 mars était consacrée à une série de conférences, au cours desquelles chaque intervenant y est allé de son astuce, remède ou réflexion sur le thème à l’étude de ces journées.

L’économiste Pierre-Yves Gomez déplace d’entrée de jeu le débat en expliquant que, s’il faut réenchanter le travail, ce serait parce que celui-ci n’aurait plus de sens. Ce qui serait presqu’une absurdité puisque, d’après lui, « le travail a du sens par définition ». Sous ce rapport, la question qui doit être posée n’est pas tant celle du sens que "pourquoi ne partage-t-on pas le même sens ?"

Le travail, pénible ou non ?

Le philosophe Fabrice Hadjadj fait quant à lui part d’une « inquiétude avec les EDC », lesquelles usent et abusent parfois de slogans. Il appelle, au fond, à ne pas déconsidérer trop vite les salariés qui pratiqueraient une sorte de « grève individuelle », entendre par là "absentéisme", "arrêt de travail", "retrait vers la sphère privée" – laquelle aurait remplacé les grandes grèves collectives d’hier. « Parce qu’il y a d’autres lieux de travail que le lieu de travail lui-même : la famille, le quartier, l’Église. Si ces autres lieux sont négligés, cela dégrade l’environnement de travail dont dépendent les entreprises ».

Autre axe de réflexion : faudrait-il réenchanter l’activité productive rémunérée parce que celle-ci serait devenue trop pénible ? Le directeur de l’institut Philanthropos appelle, là encore, à ne pas se précipiter. Prenant appui sur la figure de l’enchanteur dans le film d’animation Fantasia de Walt Disney, il remarque que le travail qui prétendrait se passer de ce qui le rend pénible « oublie de tenir compte du réel ». Et, en somme, deviendrait fou. Ne parlez pas non plus à Pierre-Yves Gomez de retirer au travail sa pénibilité. « Personne ne dit qu’il faut réformer le sport pour le rendre moins pénible ! », arbitre le professeur à l’EM Lyon. Au risque de minimiser le fait que les amateurs de sport, heureux de se dépasser, ont souvent la main sur un dépassement de soi qu’ils choisissent seuls.

Intervenante d’une autre conférence, la cheffe d’orchestre Mélinée Lévy-Thiébaut est d’ailleurs sur une ligne différente. Elle rappelle une étymologie latine du mot "travail", laquelle relie cette activité au tripalium, un sinistre instrument d’immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles. Voilà pourquoi elle a « banni » le mot "travail" de son vocabulaire. Ainsi donc elle ne « travaille » pas avec ses musiciens : elle « œuvre » à restituer au public la musique des grands compositeurs.

L'anecdote de l'ancien capitaine du XV de France

"Patience", "audace" et "entraide" sont d’autres maître-mots qui ont circulé au cours de ces conférences. « Dieu lui-même se met à l’écoute des circonstances et se met au travail en tâtonnant », a relevé la théologienne protestante Caroline Bauer, chapitres de la Genèse à l’appui. « Savoir discerner les trains qui passent et monter dedans », telle sera une des recommandations du général Pierre de Villiers, ancien chef d’État-Major des armées (2014-2017) venu prêcher « l’amour » de « notre » jeunesse. « Cette jeunesse a soif et attend », fait-il valoir. « Il faut savoir répondre à ses attentes », encourage-t-il aussi, sous peine de laisser les jeunes Français sous la coupe de trafiquants et criminels de tous poils. « Avec leur portable, leur jeans et leurs baskets, ils sont en uniforme ! »

L’international de rugby, Fabien Pelous, transmet ensuite à la salle une savoureuse anecdote. Lui insiste sur la confiance « qui se cache parfois derrière de petits riens ». Dans le bus qui conduisait le XV de France peu de temps avant un match contre l’Angleterre, en mars 2004, le sportif de haut niveau, alors capitaine des Bleus, fabrique ce qui ressemble à une clé à l’aide de straps, ces rubans dont se servent les rugbymans pour protéger leurs doigts. « C’est la clé du match ! », glisse-t-il à son coéquipier, Dimitri Yachvili, le demi de mêlée, en lui tendant avec malice l’objet qu’il vient de confectionner. À une heure où l’ambiance est pourtant loin d’être à la rigolade…

Ce soir-là, les Bleus battent la Perfide Albion. 24-21, c’est le score au coup de sifflet final, Dimitri Yachvili a inscrit un total de dix-neuf points à lui tout seul ! Avec dans son short, au fond de la poche pendant toute la durée du jeu, la fameuse clé en strap confectionnée par son capitaine. « Ce qui était une boutade pour moi était un peu plus pour lui », conclut le sportif. Filant la métaphore : « Les collaborateurs attendent toujours ces petites choses qui font passer la relation humaine et sont importantes pour gagner un match ou remporter une part de marché. »

Se poser les bonnes questions

Au sortir de la conférence, quelques participants confient leurs impressions. « Les Assises, ce sont des moments très forts », témoigne Benoît, 52 ans, paysagiste dans le Doubs. « On en sort enrichi, grandi. Ça donne une ouverture d’esprit. Ça permet de réfléchir, de se remettre en cause ». « Je viens à toutes les Assises nationales. C’est un moment pour se faire du bien. Un investissement pour soi-même », complète Claire, 41 ans, associée d’une société parisienne de capital-investissement. Christine, 66 ans, ne regrette pas davantage sa venue. « Ça permet de faire un break, de se poser les bonnes questions », explique celle qui co-dirige un cabinet de notaire dans les Yvelines.

 

Ce samedi 16 mars, le thème des Assises était déployé à travers trois ateliers à choisir parmi une trentaine sur des sujets aussi divers que « les seniors, une chance pour l’entreprise », « vous avez dit burn-out ? », ou bien encore « démystifions l’IA par une expérience bluffante ». Restait une dernière conférence plénière intitulée « Travaillons pour de bons fruits ! explorons de nouvelles voies ». Il s’agissait là d’une des quelques références à la transition écologique. Pas si rares, quoiqu’il faille tout de même les chercher : les ateliers « Développons en coopération des modèles économiques plus responsables » et « Transition écologique et sociale : transformons l’existant », ainsi que le stand d’une commission des EDC dédiée à la « conversion écologique » complètent cet éventail un peu trop dégarni au goût de certains.

L'écologie en embuscade

Pierre-Yves Gomez se déclare ainsi « épaté par le fait que les dirigeants chrétiens s’emparent si peu de la question écologique, que l’on n’en fasse pas le cœur de ce qu’ils ont à dire au monde. On a un avantage concurrentiel inégalable et on est à un moment historique ! », s’alarme-t-il, emportant les applaudissements de la salle.

 

Le thème de la conversion écologique était bien au cœur de ces Assises, quoique sans le revendiquer, peut-être pour attirer le plus grand nombre. Les "conférences plénières" de la veille ont en effet disposé les participants à venir écouter les intervenants de la plénière du samedi matin. Parmi ces voix, celle de Nicolas Cruaud, 28 ans, tout jeune président de la startup industrielle de revalorisation des déchets, Néolithe. « Il faut qu'on intègre que la crise du vivant est une catastrophe et qu'on ne peut célébrer la vie sans y faire face ». Ou celle d'Armelle du Peloux, co-fondatrice de la convention des entreprises pour le climat. « La planète n'a pas besoin de nous. C'est nous qui avons besoin d'elle. Chez les écolos, je me sens très seule. Il y a très peu de cathos parmi nous. Le phénomène écologique n'est pourtant pas une opinion. C'est un fait. Il faut prendre le temps de demeurer dans les faits. Par exemple en lisant le résumé du dernier rapport du GIEC, pour comprendre à quel point ce sera dramatique si l'on ne fait rien », poursuit cette dernière. « La conversion écologique est celle du cœur et de l'intention : comment peut-on faire alliance avec Dieu et la nature dans son business ? ».

 

Guilhem Dargnies




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