La conception de la solidarité dans le protestantisme
Si le protestant se sent solidaire en église, il se considère aussi solidaire et responsable de tous les êtres humains. La mise en avant du principe de la grâce de Dieu envers nous implique la mise en œuvre de la solidarité vis à vis des autres, quels qu’ils soient.
Contrairement à ce que certains pourraient penser, l’affirmation du salut par la grâce seule, indépendamment des œuvres, ne conduit pas à se désintéresser de toute action bonne. Au contraire, c’est parce que nous sommes sauvés
par grâce que nous devenons des acteurs de changement pour le monde, témoins que nous sommes de la Bonne Nouvelle qui nous a transformés et nous met en route.
Le théologien Raphael Picon l’exprime en ces termes : « La grâce est une manière de dire que l’humanité a de la valeur pour Dieu, que l’homme est une espérance de Dieu. Et loin de nous rendre indifférents et irresponsables, la grâce nous libère pour les autres. La grâce c’est l’incarnation de Dieu, c’est un acte de solidarité profonde avec le monde, pour le transformer, pour le sauver, pour le rendre habitable pour tous ». (Prédication sur France culture le 29 /10/2011 à partir Ephésiens 2 - 8.)
Les protestants « entrepreneurs » en solidarité et de leur vie aiment se référer à la « Parabole des talents ». Le cadeau fabuleux de la grâce reçue de Dieu ne doit pas être laissé dans un placard mais doit porter du fruit. Il nous pousse à agir, à la fois par reconnaissance du don reçu et comme une évidence d’en vivre.
La vision universelle de la solidarité se fonde aussi sur la lecture de textes de l’Ancien Testament où Dieu se présente comme le père de tous les hommes et veut faire alliance avec eux, et les évangiles où Jésus-Christ est mort et ressuscité pour le salut de tous. Cette solidarité a pour ressort l’amour inconditionnel de Dieu pour tous les hommes, sans intention prosélyte. Jésus nous dit que ce que nous avons fait de bon au plus petit d’entre nos frères, c’est à lui que nous l’avons fait. Son critère de jugement n’est pas une doctrine, ni une pratique religieuse, mais le fait d’avoir aidé, soigné, nourri le plus petit d’entre ses frères.
Jean Calvin arrive à Genève en 1541. Pour lui, la réforme religieuse implique une réforme sociale. Il n’aura de cesse d’user de son influence pour la mettre en œuvre à Genève, qui sera vue par beaucoup à l’époque comme une ville modèle. Pour Jean Calvin, l’homme étant détérioré par le péché, la solidarité ne va pas de soi et l’État doit assurer une régulation économique. Il doit garantir un cadre et des règles qui permettent un travail harmonieux, la protection des pauvres et des étrangers pour qu’ils ne soient pas exploités, empêcher les discriminations, garantir des salaires décents, garantir le repos etc. Une solidarité qui passe par la loi. Pour Calvin, qui est juriste de par sa formation initiale, un cadre réglementaire est nécessaire pour garantir la solidarité économique.
Calvin enseigne que si la perversion de la société par le péché touche tout le monde, ceux qui portent une responsabilité sociale, du fait de leur fonction ou de leur richesse, portent une responsabilité plus grande. Comme dans la parabole des talents, les puissants, les riches ont plus de responsabilité. Le cœur de toute action étant la fidélité à l’Évangile.
La nécessité d’une solidarité civile universelle, au-delà des différences sociales et religieuses, a été l’intuition prophétique de fondateurs du christianisme social protestant. Ces derniers ont beaucoup développé ce que signifiait pour eux, en théorie comme en pratique le terme « solidarité ».
Nous pensons entre autres à ces mots de grands inspirateurs de ce qu’on pourrait appeler la pensée sociale protestante, tels que les pasteurs Wilfred Monod : « Mieux vaudrait avoir servi Jésus-Christ sans le nommer, que d’avoir nommé Jésus-Christ sans le servir » (Prédication à l’Oratoire du Louvre en 1911 sur Mathieu 25 31-46.) ; et Tommy Fallot : « Dieu seul est laïc » (Revue Chrétienne, 18/11/1883 à la suite du discours de Mazamet « la Religion laïque, Religion du Père ».)
Ce même pasteur Tommy Fallot, (considéré comme le fondateur du christianisme social vers les années 1880) donnait sa conception de l’Église à la suite d’une étude de la doctrine de l’Église dans les écrits de Paul (en 1Co 12, Rom 12, Eph 1 et 3). Il voit que dans ces textes, « L’idée maîtresse se résume d’un seul mot : solidarité. Ce mot fournit au reste toute la doctrine de Saint Paul […] L’Église n’a d’autre raison d’être que la solidarité. Elle n’existe que par la solidarité avec Jésus-Christ ; elle ne se développe que par la solidarité pratiquée à l’égard de tous les hommes ». (Ibid.)
N’y a-t-il pas là le risque d’une église à l’action trop laïque, oublieuse de sa vocation essentielle d’annoncer l’Évangile de Jésus-Christ ? Tommy Fallot et ses successeurs semblent assumer ce risque que comporte toute parole de libération et de guérison, parole souvent prophétique. Justement dans la Bible, « Le prophète n’était ni roi, ni prêtre : il était laïc quand il appelait au droit des peuples, à la dignité des hommes et à la construction d’un monde d’où serait bannie toute domination de l’homme par l’homme, d’un monde qui ressemblerait de plus en plus à celui de la volonté de Dieu révélée par l’Évangile. Le risque existe parfois même pour la parole prophétique de devoir se taire et rejoindre, comme Amos, la vie quotidienne du peuple et d’y agir communément pour construire le monde nouveau. » (Revue Chrétienne, 18/11/1883 à la suite du discours de Mazamet « la Religion laïque, Religion du Père ».)
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