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Réflexion sur la technique à la lumière de la pensée sociale chrétienne

18 juillet 2018 Repères chrétiens
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Quelques textes récents permettent de cerner le point de vue de l’Église sur la technique. Le progrès technique est inhérent à l’activité humaine. Plus, il constitue l’une de ses caractéristiques. « La technique – il est bon de le souligner – est une réalité profondément humaine, liée à l’autonomie et à la liberté de l’homme.

La technique exprime et affirme avec force la maîtrise de l’esprit sur la matière. L’esprit, rendu ainsi moins esclave des choses, peut facilement s’élever jusqu’à l’adoration et à la contemplation du Créateur. La technique permet de dominer la matière, de réduire les risques, d’économiser ses forces et d’améliorer les conditions de vie. Elle répond à la vocation même du travail humain : par la technique, œuvre de son génie, l’homme reconnaît ce qu’il est et accomplit son humanité »1

La technique peut être un bien pour l’homme…

« Entendue (…), non comme une capacité ou une aptitude au travail, mais comme un ensemble d’instruments dont l’homme se sert dans son travail, la technique est indubitablement une alliée de l’homme. Elle lui facilite le travail, le perfectionne, l’accélère et le multiplie. Elle favorise l’augmentation de la quantité des produits du travail, et elle perfectionne également la qualité de beaucoup d’entre eux »2

… mais la technique peut aussi représenter un risque3 pour l’homme lui-même.

« C’est un fait, par ailleurs, qu’en certains cas, cette alliée qu’est la technique peut aussi se transformer en quasi adversaire de l’homme, par exemple lorsque la mécanisation du travail « supplante » l’homme en lui ôtant toute satisfaction personnelle, et toute incitation à la créativité et à la responsabilité, lorsqu’elle supprime l’emploi de nombreux travailleurs ou lorsque, par l’exaltation de la machine, elle réduit l’homme à en être l’esclave »4

Quand la technique se développe de façon autonome elle peut devenir une idéologie.

Benoit XVI explique que « Le développement technologique peut amener à penser que la technique se su t à elle-même, quand l’homme, en s’interrogeant uniquement sur le comment, omet de considérer tous les pourquoi qui le poussent à agir. C’est pour cela que la technique prend des traits ambigus. Née de la créativité humaine comme instrument de la liberté de la personne, elle peut être comprise comme un élément de liberté absolue, liberté qui veut s’affranchir des limites que les choses portent en elles-mêmes.

Le processus de mondialisation pourrait substituer aux idéologies la technologie, devenue à son tour un pouvoir idéologique qui exposerait l’humanité au risque de se trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pour rencontrer l’être et la vérité »5

Ces dérives sont toujours le fait de l’homme et de la façon dont il exerce sa liberté.

« …Même quand l’homme agit à l’aide d’un satellite ou d’une impulsion électronique à distance, son action reste toujours humaine, expression d’une responsabilité. La technique attire fortement l’homme, parce qu’elle le soustrait aux limites physiques et qu’elle élargit son horizon. Mais la liberté humaine n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle répond à la fascination de la technique par des décisions qui sont le fruit de la responsabilité morale. Il en résulte qu’il est urgent de se former à la responsabilité éthique dans l’usage de la technique. Partant de la fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en commençant par l’être que nous sommes nous-mêmes »6

Il est dans la dignité de l’homme d’apporter une dimension morale à la technique et d’en orienter l’usage.

Le technicien lui-même doit apprendre à penser la technique en veillant à ce qu’elle serve le développement humain7 de la morale ! En effet, « Le partage des biens et des ressources, d’où provient le vrai développement, n’est pas assuré par le seul progrès technique et par de simples relations de convenance, mais par la puissance de l’amour qui vainc le mal par le bien (cf. Rm 12, 21) et qui ouvre à la réciprocité des consciences et des libertés »8

« C’est pourquoi la technique n’est jamais purement technique. Elle manifeste l’homme et ses aspirations au développement, elle exprime la tendance de l’esprit humain au dépassement progressif de certains conditionnements matériels. La technique s’inscrit donc dans la mission de cultiver et de garder la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a confiée à l’homme, et elle doit tendre à renforcer l’alliance entre l’être humain et l’environnement appelé à être le reflet de l’amour créateur de Dieu »9

La Pensée Sociale Chrétienne nous propose donc une vision positive et critique du progrès technique.

Une telle vision, dynamique et constructive, n’entre-t-elle pas en résonance avec l’esprit d’entreprise : organiser des moyens pour faire surgir ce qui n’existait pas, apporter un progrès à la société humaine et, ce faisant, trouver un marché pour son entreprise ?

Nous pouvons appliquer à la technique les propos de Laudato Sí sur la conversion écologique : « …En premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les reconnaît… En outre, en faisant croître les capacités spécifiques que Dieu lui a données, la conversion écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son enthousiasme, pour affronter les drames du monde… »10

Ainsi, la Pensée Sociale Chrétienne s’écarte de deux tentations liées au progrès technique :

  • Celle de se poser en chantre d’un avenir radieux grâce à la généralisation de la technique. C’est cette mystique du progrès qui a dominé la pensée positiviste née dans la seconde partie du XIXe siècle avec Auguste Comte. Cette pensée s’est poursuivie tout au long du XXe. Elle structure encore nos modes de pensée11.
  • Celle d’être les prophètes d’une catastrophe12.

La Pensée Sociale Chrétienne nous rappelle que le progrès technique ne peut constituer une fin en soi et que chacun est invité à s’assurer que les évolutions technologiques restent bien au service de la dignité de l’homme, c’est à dire d’un « progrès vraiment humain » au sens où l’a rappelé le Pape François dans Laudato Sí après Benoît XVI dans Caritas In Veritate13. Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans le respect de cet impératif, tant pour elle-même que vis-à-vis de leur environnement.

Concrètement, chaque entreprise peut, face à une évolution technique, se poser un certain nombre de questions14 :

  •  Qu’est-ce que nous voulons vraiment faire en développant cette technique ? En utilisant cette technique ? Avons-nous le choix ? Y a-t-il des buts « cachés » ?
  •  Sommes-nous aptes, avant de statuer, à en faire comprendre au plus grand nombre les tenants et les aboutissants en termes simples ?
  •  Quels en sont les bénefices attendus pour la société humaine? Quels en sont les risques ?
  •  Quelle conception de l’homme véhiculent ouvertement ou de façon sous-jacente ces nouvelles technologies ? Quelle vision du monde ?
  •  Que faire pour que l’utilisation/le développement/la diffusion de cette technique contribuent vraiment au développement des personnes ? Au service du bien commun ?

Source : Cahier des EDC La dignité de l’homme au coeur de l’entreprise

 
  1. Caritas In Veritate §69 
  2. Laborem Exercens §5 
  3. Il ne faut pas occulter le risque « inverse » de rejeter le progrès technique par principe, voire pour certains écologistes radicaux de remettre en cause l’existence même de l’homme (Cf Deep Ecology décrite par Luc Ferry dans Le nouvel ordre écologique). Cf. le livret des EDC sur Un regard chrétien sur la RSE, mise en œuvre du Développement durable. 
  4. Laborem Exercens §5 
  5. Caritas In Veritate §70. Ou encore dans Laudato Sí §18-20 : « L’accélération continuelle des changements de l’humanité et de la planète s’associe aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie et de travail, dans ce que certains appellent ‘‘rapidación’’. Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes, la rapidité que les actions humaines lui imposent aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution biologique. À cela, s’ajoute le fait que les objectifs de ce changement rapide et constant ne sont pas nécessairement orientés vers le bien commun, ni vers le développement humain, durable et intégral. Le changement est quelque chose de désirable, mais il devient préoccupant quand il en vient à détériorer le monde et la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité. (…) La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre. » 
  6. Caritas In Veritate §70 
  7. Là encore, nous pouvons nous rappeler que « tout est lié » : il ne peut y avoir d’un côté l’économie et la technique et de l’autre la morale. 
  8. Caritas In Veritate §9 
  9. Caritas In Veritate §69 
  10. Laudato Sí §220 
  11. Cf. Laudato Sí §60 à propos de l’écologie : « Finalement, reconnaissons que diverses visions et lignes de pensée se sont développées à propos de la situation et des solutions possibles. À l’extrême, d’un côté, certains soutiennent à tout prix le mythe du progrès et affirment que les problèmes écologiques seront résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques, sans considérations éthiques ni changements de fond ». 
  12. Cf. Laudato Sí § 60 (suite) à propos de l’écologie : « De l’autre côté, d’autres pensent que, à travers n’importe laquelle de ses interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et nuire à l’écosystème mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire sa présence sur la planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa part ». 
  13. Renvoie au développement intégral de l’homme, de tout homme. 
  14. Laudato Sí § 185 nous invite au discernement : « Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle o rira ou non un véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ? De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À quel coût ? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il ? » 



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